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Véronèse, Paul Caliari dit le (Vérone 1528 – Venise 1588), Christ et la samaritaine, 1585 environ, huile sur toile, cm 143,5 x 288,3, Vienne, Kunsthistorisches Museum
Mois de novembre.
Femmes du nouveau testament: la samaritaine.
Or, il fallait [à Jésus] traverser la Samarie. Il arrive donc à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi. Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. ». (En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions).
La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains. Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? » Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. » Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari, et reviens. » La femme répliqua : « Je n’ai pas de mari. » Jésus reprit : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. » La femme lui dit : « Seigneur, je vois que tu es un prophète !... Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. » Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. » Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. » (Jean, 4, 4-26)
Paul Véronèse, à propos du récit évangélique, a imaginé que le puits de Jacob n'était pas situé à proximité de la ville mais plutôt en pleine campagne, comme en témoigne le magnifique paysage dans lequel nous voyons les deux protagonistes du récit: à gauche Jésus, qui est assis et à droite la Samaritaine qui vient d'arriver avec son seau pour le remplir au puits.
En bas on voit quelques figures – les disciples ? d´autres de Samaritains ? – que toutefois n’interfèrent pas du tout avec ce qui se passe au premier plan.
Les protagonistes absolus, disions-nous, sont Jésus et une femme, et en plus une femme de Samarie. Si l’on observe attentivement la scène du premier plan, on remarque tout d’abord une profonde différence dans la façon dont ils s´approchent l´un de l´autre (et vice versa). Jésus est assis, se repose, regarde la femme et se tourne vers elle, même avec le geste de la main gauche, pour lui demander à boire. La femme est occupée à son travail : elle est venue au puits pour puiser de l'eau et elle n'arrive pas à croire qu'un juif puisse lui parler ; elle n'est pas impolie, mais semble rester détachée, peut-être parce qu'elle craint, si elle répond, de faire quelque chose d'inapproprié par rapport à elle-même et à son peuple.
Le tableau semble donc nous présenter le moment où Jésus a demandé à boire à la femme mais celle-ci ne lui a pas encore répondu. Peu de temps après, le dialogue que nous connaissons et que l’on peut lire en haut de cette page va commencer. Les deux personnages se font face mais n’ont pas encore noué de relation. Et c'est justement la grande dignité accordée à la femme, seule interlocutrice du Maître, qui nous frappe et nous fascine. Même la beauté de sa robe et la précision avec laquelle certains détails sont rendus (la présence étudiée d'un voile noué entre ses beaux cheveux bouclés, les franges de ce qui peut ressembler à un châle de damas jaune) semblent indiquer que la femme est bien la protagoniste de la scène.
Le peintre semble avoir réparer le rôle subalterne que les femmes en général – mais aussi la Samaritaine en l'occurrence – avaient à l'époque de Jésus, mais aussi – à quelques exceptions près – à l'époque de Véronèse lui-même.
Jésus et la Samaritaine posent tous deux leur pied gauche sur le bord du puits, presque comme pour signifier qu'ils se placent tous deux dans la tradition des Patriarches. En outre, la généalogie de Jésus place Jacob en troisième position (cf. Mathieu 1, 2), tandis que l'histoire du peuple samaritain se réfère précisément aux Patriarches, avec la prétention d'être le véritable peuple élu parce qu'ils ont été épargnés de la contamination de la déportation à Babylone.
L'inimitié entre les Israélites et les Samaritains – qui ressort des paroles d'étonnement de la femme devant le fait que Jésus s'adresse à elle en particulier – est donc surmontée par le fait que tous deux se retrouvent autour du même puits, où ils puisent de l'eau pour étancher leur soif. Et le fait que ce soit une femme qui ait franchi cette limite rend le beau dialogue qui se développe entre les deux encore plus extraordinaire et exceptionnel.
(Contribution de Vito Pongolini)